La Souricière
Il y a toujours de bonnes raisons
pour faire regretter à une fille de ne pas avoir de chum. Pour ma part, je sus
véritablement ce que signifiait vivre seule, le jour où je fis face à une
réalité autrement plus désagréable qu’une porte d’armoire qui grince.
Ma mésaventure commença un de ces
samedis soirs ennuyeux où ne sachant que faire de mes dix doigts, il me prit
l’envie de fureter sur Réseau Contact sans y être abonnée, afin de vérifier si
l’homme de ma vie ne s’y cachait pas. En cette fin de veillée que j’étais prédestinée
à passer seule puisqu’aucune amie ne s’était manifestée pour me sortir de ma
trépidante vie de vieille fille de 25 ans, mon appartement était exempt de
bruits lorsque tout à coup, distinctement, j’entendis un bruit provenant de la
cuisine.
C’était le genre de bruit dont vous
ne pouviez avoir de doute : celui de la présence d’un rongeur en votre
humble demeure. Je connaissais ce bruit, puisque mon ex et moi avions hébergé
un temps une souris, contre notre grée, il va sans dire. C’est probablement
pour ça que tel un réflexe de survie, je saisis instinctivement mon téléphone
pour appeler, non pas le 911, mais bien mon ex.
J’aurais dû m’en douter, il
ridiculisa mes appréhensions : ‘’Toi qui voulait de la compagnie et bien
tu en as!’’, proclama-t-il pour me narguer, après que je lui eu avoué sans
détours que je venais d’aller faire un tour sur Réseau Contact, dans un ultime
espoir déchu de reconquête.
Mais les mois avaient filé et nous
savions très bien tous les deux qu’il nous fallait se consacrer à l’avenir plutôt
que de se conjuguer au futur. C’est à ce moment que cette pensée me traversa
l’esprit : Si je réussissais à passer outre cette épreuve de chasse à la
souris sans m’avouer vaincue (c’est-à-dire, sans aller dormir chez mes parents
pour abréger mes souffrances), je serais guérie de ce besoin de requérir à la
présence d’un mâle à la moindre anicroche (dans notre ancien logement, c’était
lui qui avait capturé la souris). Je me lançai donc ce défi et je plongeai tête
première dans cette mésaventure qui était devenue son contraire.
Lorsque dimanche matin arriva, je
gambadai (j’exagère à peine), jusqu’à mon Rona, où la réalité me
rattrapa : Si j’achetais une trappe à souris, je serais forcée de manipuler
la dite souris morte pour m’en débarrasser! Dans un moment de désarroi qui se
lisait sur mon visage, le charmant jeune homme avec le chandail de la bannière
qui m’avait éconduit à l’allée des amis indésirables compris instantanément mon
dégoût : ‘’Tu habites seule, c’est ça?’’. J’ignore s’il recevait souvent la visite de
filles esseulées dans son enceinte, mais je repartis avec une espèce de ‘’boîte
à souris’’ contenant du poison, que je déposai contre la paroi d’un mur de ma
cuisine.
Le lendemain matin, je constatai les
signes visibles du passage de ma souris que j’avais tendrement prénommée
Albertine : Elle avait mangé la moitié du poison. Elle était d’ailleurs
certainement décédée dans sa tanière, entre deux murs de mon logement, et il ne
m’en fallut pas plus pour décréter que j’étais maintenant apte à vivre seule!
Mon bonheur fut de courte durée, car le
soir venu après une longue journée de travail, je rentrai à la maison en
entendant Albertine faire ses dents. La partie n’étant pas gagnée d’avance, je
n’avais aucune envie de m’endormir ce soir là au son de ce rongeur que
j’entendais depuis ma chambre. Les souris se taisent habituellement lorsqu’un
bruit humain se manifeste, c’est bien connu. C’est pourquoi j’eus donc la
brillante idée d’ouvrir la radio et de syntoniser Radio-Canada et ses émissions
en rediffusion afin de lui faire croire que de vrais animateurs se trouvaient dans
ma cuisine (après tout, un peu de culture ne pouvait pas lui faire de tort).
Lorsque je me réveillai le matin suivant,
fraîche et repue d’un sommeil récupérateur, je constatai que non seulement elle
était plus futée que moi et qu’elle avait compris le subterfuge de la ‘’fausse
présence’’, mais elle avait aussi laissé une marque incontestable de son
passage dans ma cuisine : Sur mon plancher, gisait une enveloppe de thé
vert, sans le sachet à l’intérieur! Albertine m’avait volé le dernier sachet de
mon thé préféré! C’était le bouquet, je courus donc au Rona pour supplier mon
joli vendeur qui ne payait pas de mine de me laisser tenter l’expérience d’une trappe
à souris et ce, même si j’étais célibataire!
L’aube suivante m’apporta la
consécration de mes talents de chasseuse : je retrouvai ma compagne de vie
inanimée au sol, sa bouchée de beurre d’arachides encore entre les dents. Elle
était si mignonne avec ses petites oreilles pointues, ses yeux noirs minuscules
et son pelage brun foncé, que j’eus presque des remords de meurtrière... Mais
mes sentiments laissèrent vite place à la fille enjouée qui savait qu’elle
venait de franchir une étape importante de sa vie. Pour célébrer, je me lançai
donc dans une sorte de danse satirique de chasse aux souris tout en entonnant
le dernier tube de Taylor Swift. Mais tout comme mes sentiments, ma danse fut
de courte durée : ‘’Comment vais-je faire pour me débarrasser de toi maintenant?’’,
prononçais-je à mi-voix, comme si elle était susceptible de m’entendre. Au
moment où je me passai la réflexion que c’était dommage que mon vendeur chez
Rona n’offrait pas de service après-vente, j’entendis mon voisin du troisième
étage, Bernard, descendre l’escalier. Je me précipitai donc à l’extérieur pour
l’intercepter, sans être consciente que j’allais faire une entorse à ma ligne
de conduite qui me dictait que toute fille désirant vivre seule (ce qui n’était
pas vraiment mon cas), devait être en mesure de se débrouiller seule.
Mais c’était trop tard, Bernard, qui
avait la quarantaine fringante, vint me prêter mains fortes. Il enfila mes
gants de vaisselle et saisit la trappe où Albertine se trouvait raide (morte),
mais plutôt que de se diriger vers la poubelle sur mon balcon, l’infâme me
poursuivit souris en main, la laissant s’exprimer, telle une marionnette de mauvais
goût : ‘’On aurait pu être amies, pourquoi m’as-tu fait ça?!’’, s’écria-t-il
en parodiant l’hypothétique voix de mon animal de compagnie.
Ce midi-là, je fis exception en
venant dîner à la maison puisque les péripéties du matin ne m’avaient pas laissées
le temps de me préparer un lunch. En pénétrant dans la cuisine, je jetai un
regard intrépide à ma ‘’boîte à souris’’, ‘’il me faudrait bien la jeter elle
aussi’’, pensais-je en ouvrant la porte de mon réfrigérateur. Un poivron tomba
sur le sol et en me penchant pour le ramasser, je croisai son regard terrifié :
Il n’existait pas une mais plutôt deux Albertines, et bien qu’elle avait
échappé à ma vue au premier coup d’oeil, je la découvris recroquevillée dans ma
‘’boîte à souris’’, espérant que de cette façon, je ne l’apercevrais pas! N’écoutant
que mon courage et ce sans quitter des yeux Albertine numéro deux, j’étirai mon
bras pour saisir mon balai et le porte-poussière. Si je n’avais pas prouvé ce
matin que j’étais bel et bien autonome, j’allais le faire maintenant! Mon plan
était simple : me servir du balai pour mettre la ‘’boîte à souris’’ dans
mon porte-poussière et ouvrir ma poubelle à pédale qui se trouvait non-loin.
C’est en faisant cet exercice de sauvetage de ma fierté, qu’Albertine numéro
deux, après avoir cligné des yeux et branler la queue, joua le tout pour le
tout : Elle s’engagea dans une chute vertigineuse d’au moins un mètre de
hauteur pendant lequel je poussai un cri qui avait sûrement dépassé le nombre
de décibels admis par la ville.
N’allez pas croire que j’étais au
bout de mes peines, le surlendemain, je fis la connaissance d’Albertine no. 3
(cette dernière était de couleur grise, contrairement aux autres). On ne peut
plus vivante, elle était prisonnière de ma trappe à souris! Elle était
certainement blessée, mais je ne sus jamais à quel point car encore une fois,
Bernard me dépanna (ce qu’un homme ne ferait pas pour une fille qu’il trouve de
son goût!).
En relâchant la bestiole à
l’extérieur, ma voisine Jeanette du premier étage (une commère toujours à sa
fenêtre), prit connaissance du dernier potin croustillant. Il n’en fallait pas
plus pour que tout le voisinage soit au courant après un tour d’horloge, et
selon les dires de Bernard, Jeanette me prénomma même ‘’La Souricière’’. Je
rétorquai à Bernard que je me fichais bien de ce que cette sorcière pouvait
penser, mais le fait est qu’il fallait me rendre à l’évidence, la situation
était devenue hors-contrôle. J’avais une armée de souris à ma charge et avec la
multiplication des trappes que j’avais posées, j’avais tué jusqu’à six frères
et sœurs d’Albertine. Je ne pouvais toujours pas me résoudre à toucher le
cadavre d’une souris et je savais que Bernard devait quitter la ville sous peu
pour un voyage d’affaires. Bien que ma propriétaire n’eut pas retourné mes appels
(je sus plus tard qu’elle était en vacances hors du pays), j’appelai donc un
exterminateur. La gentille dame qui me répondit m’expliqua que six souris, ce
n’était pas beaucoup : ‘’C’est une famille de souris que vous avez et une
famille, ça peut aller jusqu’à dix-sept!’’, statua-t-elle. Comme je n’avais pas
l’intention de me rendre à ce chiffre vénérable, je pris le parti de payer
moi-même l’exterminateur, question d’en finir avec cette invasion de domicile et
enfin pouvoir renouer avec ma palpitante vie de célibataire habillée en mou qui
tout compte fait, commençait à me manquer.
En moins d’une heure, un exterminateur
se présenta à ma porte avec la trousse de secours qu’il est attendu d’espérer
d’un intervenant de la sorte. En mois d’une journée, mes souris rejoignirent le
paradis. Quelques jours plus tard, mon trentenaire d’exterminateur passa faire
un suivi pour service rendu... pour ne plus repartir. Je compris lors de cet
épisode que jamais je ne pourrai plus me passer d’un homme dans ma vie… Et
c’est bien mieux ainsi.