Lettre à mon futur éditeur
Cher éditeur,
Toute ma vie, j’ai lutté pour ne
pas écrire.
Toute ma vie, j’ai souhaité vivre
comme dans un roman. Or, pour exister de cette façon, il faut s’investir sans escales. J’ai senti
ce tiraillement et cet appel toute ma vie. Celui de l’écrivain opposé à l’envie
démesurée d’engloutir ma vie. Là où d’autres auraient pu conjuguer vie trépidante
et écriture, j’ai échoué. Comme le dit la chanson, je ne regrette rien, cette
vie a été à la hauteur de mes folies.
Cependant, au seuil de mes
quarante ans, mes désirs assouvis cachent un souhait que ma mémoire avait
oubliée. Celui d’écrire un roman. Celui de céder le pas, enfin. Exactement
comme si je rendais les armes, comme si j’abdiquais un territoire non-défriché
dont le potentiel est encore à soupeser. J’ai assez vécu pour ne plus angoisser
à l’idée d’écrire pendant que des bouts de mon existence se déroulent sans moi.
Pendant des années, je n’ai
soulevé la couverture d’aucun roman tellement ma rage de vivre me surmenait.
Pourtant, adolescente, je sacrifiais volontiers mon sommeil pour lire Émilie de la Nouvelle Lune de Lucy Maud Montgomery. Je
rêvais d’être comme elle, exaltée dans l’âme et
écrivaine à mes heures. J’ai compris toutefois que je devais d’abord m’apaiser pour
me poser dans l’écriture. C’était viscéral, il me fallait toucher et m’imprégner
de tous ces petits morceaux de vie pour ensuite aspirer à faire vibrer mon lectorat.
Mais voilà, je divague. Quel est
le propos de mon roman? Il s’inspire de ma propre vie, comment puis-je vous le
cacher? C’est le destin d’une fille qui a consacré sa vie à sa carrière et ses
amours et qui atteint malgré tout l’âge de quarante ans célibataire. Plus
précisément, mon roman raconte les tribulations d’une maman last call qui décide de mettre au monde
un enfant seule, par insémination.
Elle peut cependant compter sur
le soutien de sa tribu. Ses voisins constituent sa famille. Les liens sont
tissés serrés et ce lieu paradisiaque y est certainement pour quelque chose.
Les deux immeubles reliés par des escaliers mitoyens sont entrelacés d’une cour
intérieure chatoyante en marge d’une grande ville. Les fleurs généreuses
donnent aux appartements de style européen un cadre enchanteur où les fenêtres
persiennes invitent cette communauté d’âmes à s’ouvrir à son prochain.
Ainsi, le voisinage de notre
personnage principal ne le sait pas encore mais il jouera un rôle déterminant
dans l’éducation de cet enfant. L’entraide, la gratitude, l’écoute et l’humour sont
au cœur de leurs relations qu’ils vivent à l’abri des regards individualistes. C’est
étrange à formuler à notre époque mais tous dépendent du bonheur de chacun.
J’ai si hâte de vous les
présenter... C’est le début d’une grande aventure,
sans compter la mienne, qui débutera avec l’acceptation de ce roman par vous.
Merci infiniment cher éditeur de
me faire accéder à un vieux rêve défraîchi, tout empoussiéré que j’ai décapé à
l’usure et qui brille dorénavant comme un sous neuf.
Bonne lecture,
Julie