Des idées de grandeur
Définition selon Wikipédia de la
mégalomanie : La mégalomanie
consiste en la surestimation de ses capacités, elle se traduit par un désir
immodéré de puissance et un amour exclusif de soi. Elle peut être le signe d’un
manque affectif. En psychologie, la mégalomanie est classée dans la famille des
psychoses délirantes chroniques.
Ma chère fille,
Grâce à une amie venue dîner l’autre
soir, je viens de découvrir à 38 ans que je souffre d’un des grands maux du
vingt-et-unième siècle, je suis une mégalomane compulsive.
Si je m’imagine souvent en
entrevue sur le plateau de Tout le monde
en parle, c’est que j’ai des idées de grandeur en raison de mes troubles
psychiatriques, selon le petit Larousse. Comment te dire ce monde que j’habite
sinon qu’au milieu de celui-ci ma chérie, je suis la reine de la planète! Je
suis une actrice oscarisée pour avoir joué dans Girls interrupted. Oui, j’ai volé un Oscar à Angelina Jolie. C’est
toutefois le film La vita è bella qui
m’a fait connaître. Avec Roberto Benigni, j’ai assisté à ma première cérémonie
de l’Académie en marchant sur les sièges des gens de l’industrie comme Jésus a
marché sur l’eau, main dans la main avec Roberto, pour récupérer l’Oscar du
meilleur film étranger. Quand j’ai joué dans Dirty dancing, plusieurs ont murmuré qu’une nouvelle étoile était
née. Et quand les studios Hollywoodiens se sont décidés à faire un remake de La mélodie du bonheur avec ton humble mère dans le rôle-titre, je
suis montée une nouvelle fois sur scène, cette fois pour ravir la statuette de
la meilleure actrice à Meryl Streep. Depuis, non chérie, je ne suis pas devenue
une has-been, je vogue plutôt de
projets en projets comme un oiseau vogue au gré du vent de branches en champs.
Même si je chante comme un pied dans cette vie, dans ma vie rêvée j’ai une voix
dotée d’un filet d’or bluesy. Le
chemin que j’ai parcouru pour en arriver là? Oh, j’ai bien grappillé un chum ou
deux à des starlettes, en fait, j’étais égoïste et snobinette comme Gwyneth!
Mais aujourd’hui, la trentaine aidant, je me suis repentie. J’ai trouvé ma
voie. J’écris des romans à succès comme Rhonda Byrne réécrit son éternel Secret. Entre deux manuscrits, je chante
sur les plaines d’Abraham les chansons qu’on veut bien me laisser interpréter
sur mon long piano aux touches verticales. Après tout, Céline est mon amie et
je fus là pour la soutenir quand René est parti. J’ai aussi pour amie Oprah,
mieux, j’anime sur sa chaîne. Je finis
même première de classe à Dancing with
the stars. Mon seul défaut? Je suis incapable d’écrire une chanson qui se
vaille, moi qui écrit des livres comme on remporte des disques platines! Malgré
cela, j’aime ma vie comme je mange du chocolat. Démesurément. Physiquement,
j’ai la grâce de Lady Di et le port d’altesse de Kate Middleton. Mais ne t’en
fais pas, même si j’exulte la richesse, une fois par semaine, pour me racheter,
je fais du bénévolat auprès des sans-abris de l’île. Ainsi, je troque mes robes
glamour pour des tabliers de rue. Et une fois l’an, je signe un gros chèque de
deux millions pour Moisson Montréal. P.K. n’a qu’à aller se rhabiller en
smoking, ça satisfait pleinement mon ego volatil.
J’ai rencontré ton père, mon
prince, par l’entremise de Taylor Swift. Sébastien est un chanteur, musicien et
réalisateur d’albums admiré et reconnu. Ensemble, nous naviguons entre ses
studios de Londres, Montréal et Los Angeles. En 2016, il m’a demandé en mariage
à Prague, sur le célébrissime pont Charles! Cette scène ma chouette était si romantique,
avec tous les étrangers passagers pris à témoins, tenant leur Iphone pour filmer cette perle inoubliable
qui, en moins de 24 heures, a fait le tour du monde en millions de clics! Ici,
je suis maître de mon destin mon ange, dans cette vie qui a tout de ce que je
veux et rien du reste.
Je suis née dans la famille
Molson, rien de moins. Niché par-delà la montagne, je n’ai jamais habité la
maison de mon enfance, celle de mes grands-parents. Je suis plutôt la fille
illégitime d’Éric Molson et la demi-sœur de Jeff, ma mère était une rusée
roturière qui m’a élevé à Sorel, loin de tout ce faste pour soi-disant me
protéger. Dans ma jeune vingtaine, j’ai habité dans Hochelag pour observer le « vrai monde » vivre et
réaliser ma chance. En Californie, je suis partie sans le sou. C’est l’histoire
d’un success story dont les Québécois
raffolent. J’ai trimé dur ma fille, au loin, je ne l’ai pas eu facile.
J’usurpais les toilettes des restaurants de L.A.
pour dériver vers leurs cuisines, mangeant les restants que je volais ça et là,
telle une Madonna sans prima donna. J’ai par la suite eu droit sans heurts à ma
part du gâteau familial. Mon premier million, je l’ai gagné moi-même, sans
l’aide de personne. Vois-tu comment je délire ma belle? Je t’entends
crier : « Mais c’est de la folie pure cette mascarade! ».
Un jour j’ai raconté mes
psychoses non-évasives à ma thérapeute et elle m’a conseillé d’en faire une
histoire, un roman à succès. Je lui ai répondu que personne ne croirait cette
histoire surannée bon marché. Alors je vis là, posée dans ma tête, le rêve
endormi ou bien vivant de toute une vie! Pathétique je suis. Mon étoile brille
plus que moi-même, pas aux confins de la galaxie, mais au firmament de mon
identité, ou si vous le voulez, sur une dalle de béton savamment coulée, sur le
Hollywood boulevard de ma satiété.
Même Trump ma chérie, je lui ai
dit live à la télé qu’il était le
pire idiot que la terre ait porté! Depuis, je suis bannie des États-Unis! Qui
sait ce qui m’arrivera? Et qui sait chaton ce qui m’arrivera dans mon autre
vie, celle-ci?
Je relis tous ce que j’ai écrit
et je vomis. Oui, tu as raison c’est trop, pourquoi rêver de tant d’outrance
dans l’excès? C’est comme manger un gâteau avec un glaçage au beurre trop
épais. Juste un peu c’est assez. Et puis, c’est fake cette vie. J’ai tellement honte, tant et si bien que de
l’écrire ici, c’est comme avouer que je regarde The Kardashians en m’empiffrant de pop-corn au caramel écoeurant.
Pourquoi je m’évade ainsi, que tu me dis? Parce que tu n’es pas là peut-être,
pas encore? Ou parce que je n’ai rien trouvé de plus satisfaisant, de plus « profond »
pour l’instant? Parce qu’il faut que je gratte encore ce vernis, pour découvrir
la vraie Julie? Je ne suis pas cette fille aux apparats clinquants, pourtant!
Et pourtant… Quand les jours me
sont pesants ou que l’être humain m’envoie en plein nez une autre de ses
conneries, lorsque les lumières se tamisent et que mes angoisses naissent ou
que tout m’indiffère, je me rétracte à cette vie douloureuse.
Je sombre dans mes pensées comme
on se sert d’un bouclier, j’erre dans ma tête comme certains batifolent dans la
nuit. Je me compose une vie et décompose la mienne. Chacune de ses plongées en
moi-même équivaut à imaginer une gamme déjà étudiée pour la rejouer
différemment, avec cette nuance de bleu-ciel qui change tout. Alors seulement,
je trouve la paix d’esprit car je vois défiler la vie dont j’ai tant rêvée,
celle qui s’apparente à un conte de fées que je palpe presque, du bout des
doigts, comme on touche à la volupté d’un clair de lune un soir lumineux.
Mon amie l’autre jour en dînant
m’a dit en faire autant. Nous sommes des mégalomanes dans le sang. Des fleurs
du mal en liesse ou en laisse, c’est selon. Dans ma mémoire, j’imprime ma vie
sans regrets. C’est elle qui me permet de vibrer, d’espérer sans trop de bruits.
À mon instar, les humains en Syrie en ont bien besoin. Mais rêver à sa façon,
même quand on a honte de l’exposer, c’est noble de s’y évertuer. Rêver, c’est
comme manger. C’est nourrissant. On ne doit jamais juger la main qui nous
nourrit, on se tait et on engloutit. On a tous besoin pour vivre d’un peu de
barbe à papa couleur arc-en-ciel. Ce n’est pas qu’un somnifère, c’est avant
tout une pulsion de vie. Cette vie-là me satisfait, aussi kitch qu’elle soit, elle me permet d’aimer la mienne. Sans regrets
ou avec… Mais tu le saisis bien toi, qui veut au fond d’une vie parfaite où il
n’y a pas âme qui vive?