Voici un extrait du prochain livre de Julie:
Toi et moi, on est comme deux
personnages d’un roman de Réjean Ducharme. L’hiver de force, tiens. Tout comme
les protagonistes de l’univers Ducharmien, on refuse de vieillir. On est
condamnés à être des enfants dans un corps d’adulte, avec une vie pour un vide
d’adulte, que l’on subit sans accepter. Notre force, c’est qu’auprès de
l’autre, on a trouvé refuge. On s’est inventés une langue, un monde sans
punitions. Ensemble, on reste des enfants derrière les portes closes. Personne
ne sait. Personne ne sait combien nous sommes vulnérables, combien nous avons
besoin de l’autre pour survivre. Le monde extérieur est rempli d’adultes mal
intentionnés qu’il nous faut berner. Personne ne connaît la mesure de notre
fragilité, celle que nous exprimons le soir sur l’oreiller. Dans ce gouvernail
qu’est notre lit, on cherche à se garder dans le droit chemin. Celui qu’on a
choisi lorsque les lumières se tamisent et que les cris du jour ne franchissent
plus le portail de nos pensées. Sous la douillette, on fait des bruits de chats
pour se rappeler que la vie n’est pas censée être « si sérieuse ». Quand
tu te couches sur le ventre au début de la nuit, en poussant toutes sortes de
soupirs et de gloussements de joie que ta journée soit finie, je vois un petit
agneau à la peau si douce que je ne peux que l’effleurer. Mais je ne peux
résister longtemps. Souvent, j’écrase mon corps sur toi, je te trouve trop
mignon. Je te veux tout entier. Je suis une femme-enfant, tu es mon
homme-adolescent. Et quand je ne vais pas bien, tu te rapproches doucement de moi,
une mesure de hanche à la fois, pour me réconforter grâce à ta « cuillère
magique ». Tu n'aimes pas quand je suis triste, ça t’affecte beaucoup. Tu ne
fais plus rien d’autre que t’occuper de ma peine, et douloureusement je dois te
confier que j’aime ça. Pas que j’en profite pour être triste à propos des
humains pour obtenir ton attention, non, parfois j’aimerais même que tu ne vois
pas que je suis triste. Mais je n’y peux rien. Je n’ai qu’à cligner des yeux
pour que tu me saisisses. Souvent, je voudrais t’épargner, mais j’ai trop besoin
de toi. Alors je suis, et je vis.
Avec toi, je suis un peu moins
mésadaptée. J’ai presque du pouvoir sur mes démons. Nous sommes sensibles, à
fleur de peau, mais pas autant que vulnérables dans un monde de pense-bêtes. Ma
vie est sauve depuis que je t’ai trouvé, et j’aime croire que je te protège de
ta solitude comme de ta propre mélancolie. Avec nos petits rires diffus sous la
couette à propos du monde qu’on s’est créé et que je ne peux relater ici, qui
sait ce qu’on mijote? J’aime croire que sans moi, tu ne serais pas fonctionnel.
Tu serais un homme-tronc, qui avance sans jambes et sans bras. Je serais une
libellule, qui avance avec la crainte menaçante d’être écrasée. Je ne sais pas
lequel des deux a le plus besoin de l’autre, mais ce n’est pas important. Nous
sommes deux chats siamois.
Au lit, nos ébats sont étranges. Souvent
enfantins, parfois parsemés de « Miaou! », rarement bestiaux, jamais
du cul pour du cul. On ne sait pas comment faire l’amour. Ce n’est donc guère sensuel, mais lorsque se l’est, ça me
plaît bien. Tout ce que je veux, c’est reconnecter avec mon frère de sang.
Caresser ta peau, te regarder dans tes yeux de bébé chat. On se touche en ne
sachant que faire de nos mains. On s’effectue tant bien que mal, mais
s’effectuer est un verbe à la tâche trop ardue. Alors on préfère essayer de se
caresser. Et lorsque les astres sont bien alignés, on fait l’amour comme des
adultes. Ça n’arrive que les soirs de pleine lune. C’est lascif, abrasif, léger
et délicat à la fois. Ça ne perd jamais de son caractère enfantin. Pourvu
qu’une fois de temps en temps tu me prennes par derrière, je suis satisfaite.
Car je suis avec toi pour ton cœur. Le reste, je m’en fous. De ce que les autres
pensent, de ce que c’est que d’aimer, de ce que devrait être « faire
l’amour ». Qui a besoin d’un autre « faire » dans un monde où on
ne fait que les choses parce qu’on est obligés? Je n’aie que
« faire » du monde bien-pensant, tout ce que je veux, c’est t’aimer
comme toi tu m’aimes. Et tu m’aimes gros, gros comme le petit Prince aime sa
fleur qui ressemble à toutes les autres, mais qui est différente à ses yeux.
Lui seul le sait. Ça nous permet de garder le secret.