Ce que monsieur Legault ne vous dit pas...

Vous l’avez entendu comme moi, François Legault veut rouvrir graduellement les écoles et les CPE. Soyons honnêtes, Legault n’avait pas vraiment le choix de le faire. Je suis chef d’entreprise et maman d’un garçon de deux ans et depuis plusieurs semaines, je tiens à bout de bras (et avec une super équipe) notre PME de 25 employés, tout en prenant soin de mon fils avec heureusement, mon amoureux. 

J’ai pris la décision de maintenir l’entreprise ouverte à équipe réduite, étant donné que 50% de notre clientèle sont dans des secteurs essentiels et qu’on leur fournit des pièces nécessaires au bon fonctionnement de leur usine.

Mon chum et moi, nous avons été chanceux dès le départ lorsque Legault a annoncé la fermeture des entreprises essentielles, puisqu’on travaille au sein de la même entreprise. Nous avons donc pu nous aménager un horaire d’alternance de présences au bureau et de télétravail. Mais tout le monde n’a pas la chance d’être son propre patron et de travailler dans un secteur relié aux services essentiels…

Soyons francs, si les écoles et les CPE ne réouvraient qu’en septembre (sans parler des camps de jours qui seraient annulés pour les mêmes raisons), on pénaliserait beaucoup de gens de ne pas pouvoir retourner travailler. S’endetter pour rester à la maison jusqu’en septembre? Ben oui, on en aurait entendu des histoires de couples ou de parents monoparentaux qui doivent tirer le diable par la queue pour payer l’ensemble de leurs factures, sans parler de leur hypothèque ou de leur loyer.

Je suis entièrement d’accord, la santé DOIT passer en premier. Si Legault voulait rouvrir tout de suite toutes les écoles et les CPE, sans plan réfléchi, ce serait loin d’être une bonne idée. N'oubliez pas qu'aucun employeur n'a intérêt à ce que le Covid fasse son entrée dans son entreprise... Mais le faire de façon graduelle, région par région, en mesurant les impacts de ce qu’on est en train de vivre, c’est la meilleure solution pour ne pas pelleter par en avant une deuxième vague de Covid beaucoup plus forte à l’automne, et peut-être même, un retour à la case départ avec une mise sur pause des écoles et des entreprises, encore.

Car on va se le dire, les entrepreneurs dont on peut estimer que près de la moitié des employés ont des enfants en bas âge poussent aujourd’hui un grand soupir de soulagement. Diriger une entreprise, relancer l’économie, votre business, en ayant perdu temporairement près de la moitié de vos employés (pendant six mois si je fais le décompte jusqu’en septembre), ça vous place dans une situation encore plus précaire en tant qu’entrepreneur qu’elle ne l’était déjà. Mon père me l’a toujours dit, ce qui fait la force d’une entreprise, ce n’est pas ta liste de clients, ton carnet de commandes, où ton bénéfice net à la fin de l’année, non, la réelle force de ton entreprise pour assurer sa pérennité, c’est la constance d’une main d’œuvre bien formée et expérimentée. 

Si Legault n’avait pas fait cette annonce, si la réouverture des écoles était allée en septembre, je peux vous dire que bien des employés auraient perdu leur emploi d’ici l’automne. Pas parce qu’on les auraient mis à la porte parce qu’ils ont des enfants, non, les entrepreneurs ont bien plus de cœur que ça (sans compter que beaucoup d’entreprises d’ici sont familiales); ce qui nous aurait attendu dans le détour, c’est la fermeture de bien des entreprises qui n’auraient pu subir ce deuxième choc en très peu de temps. La réalité, la vraie, c’est ça. Mais ça, vous ne l’entendrez jamais lors d’un point de presse. François Legault ne peut pas en parler, parce que dans le contexte actuel, en tant que premier ministre, ce serait terriblement malvenu d'affirmer une telle chose. Ce serait sous-entendre que l'économie passe finalement au premier rang. 

On ne se le cachera pas, bien des PME à l’heure actuelle n’ont pas beaucoup d’argent dans leurs coffres. Mes comptes recevables atteignent des records de délais en ce moment, et ce n’est pas juste parce que la moitié d’entre nos clients sont fermés, non, c’est parce que les coffres sont vides. Nous n’avons plus d’argent dans nos coffres, très bien, mais nous avons d’excellents employés et c’est sur eux que nous pouvons et devons compter pour débuter la relance. 

En passant, je suis d’avis que cette pause prolongée a été bénéfique afin de se rendre compte qu’une décroissance économique s’impose si on veut sauver la planète. Mais encore là, ne jouons pas à l’autruche, tout le monde a besoin de gagner sa vie pour assurer celle de sa famille. Et ne me dites pas que six mois de télétravail n’aurait pas fait tant de tort que ça aux entreprises. 

1) Ce n’est pas tout le monde qui est efficace en télétravail (de surcroît avec des enfants). 

2) Ce n’est pas tous les emplois mais bien moins de la moitié, qui peuvent s’effectuer en télétravail, et encore, sur une période limitée dans le temps.

Loin de moi l’intention de polariser le débat ici mais bien plutôt, d’attirer l’attention sur ces employeurs, ces entrepreneurs qui depuis le début de la crise, réfléchissent jour et nuit afin de trouver des solutions pour passer à travers.

On parle peu de la détresse des entrepreneurs en ce moment. Pourtant, elle est bien réelle. Sauf que ceux-ci sont trop occupés à sauver leur entreprise pour en parler en public. Et honnêtement, en avoir parler deux semaines plus tôt, on se serait fait tirer des tomates. Pourtant, l’économie du Québec s’est bâtie grâce aux PME. Que fait-on pour elles? Quelques programmes ont été annoncés, dont celui du gouvernement fédéral de subventionner le salaire des employés à hauteur de 75% pendant trois mois. C’est super tout ça, mais il ne faudrait pas se mettre la tête dans le sable, les dommages faits aux PME d’ici vont bien au-delà de trois mois de subvention (sans compter la capacité à payer du gouvernement qui est largement atteinte). Dans notre cas, j’estime que l’automne prochain la situation pourrait s’améliorer mais ne sera pas nécessairement revenue à la normale. Mars, avril et mai sont normalement parmi nos meilleurs mois de l’année et l’été est pour nous une saison morte. Ce qui signifie pratiquement qu’au moment où l’on voudra relancer l’économie, mon carnet de commandes ne se remplira pas par miracle, d’autant plus que j’aurai perdu des joueurs (des clients) en cours de route. Bref, comme je l’ai dit à mon entourage, nos mois les plus difficiles ne sont pas derrière mais bien devant nous. Et c’est le cas pour la majorité des PME.  


Je me rassure toutefois en me disant que notre entreprise familiale existe depuis 50 ans, qu’elle est solide financièrement, que ce n’est pas demain la veille qu’elle va fermer, et pourtant, ce sera difficile… Je n’ose pas imaginer ce que les dirigeants de PME plus jeunes ou moins stables vivent en ce moment

En conclusion, à tous mes amis entrepreneurs qui se démènent pour passer au travers, qui gèrent leur entreprise à bout de bras tout en prenant soin de leur famille, je vous lève mon chapeau, vous êtes mes héros. Car il y a la souffrance dont on parle, celle dans les CHSLD, celle du personnel de la santé, celle des gens dans la pauvreté qui ne sont plus capables de payer leur panier d’épicerie. Oui, cette souffrance-là, elle est plus que réelle et c’est d’elle dont on doit parler en premier et à laquelle on doit s’attaquer en priorité. S’attaquer, justement, comme s’attaquer à ce foutu virus qui emporte des gens injustement. Je suis entièrement d’accord avec ça. Mais ne sous-estimons pas la souffrance de nos entrepreneurs. Ce sont des bâtisseurs. Les chefs d’entreprises, les leaders, les vrais, ne sont pas là que pour faire de l’argent, ils sont là surtout par goût du défi, parce qu’ils ont une vision, parce qu’ils sont des rassembleurs et oui, parce qu’ils veulent créer de la richesse au sein de leur communauté. Mais ces temps-ci, ils sont pas mal fatigués, eux aussi. Serez-vous là pour les soutenir lorsque ce sera le temps de se retrousser les manches?  



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