Lettre à ma fille


Chère Émilie, proche parente du ciel étoilé,

Je vais tout te raconter avant que tu sois parmi nous ma beauté.

Voilà, j’ai failli renoncer à toi, renoncer à la maternité.

Tu n’es pas sans le savoir d’où tu te trouves, nous vivons dans un monde beaucoup trop occupé pour cette ère essentiellement vide.

Longtemps je me suis dit que je n’aurais pas d’enfant si je ne pouvais pas m’assurer d’arrêter de travailler quelques années. Tout se joue entre zéro et trois ans, c’est bien connu. En créant les garderies, Marois a créé un monstre. Un endroit où on abandonne nos enfants. Tu en conviendras d’emblée, un enfant ne socialise pas avant ses trois ans, alors pourquoi l’envoyer en garderie? Pour travailler pour se payer un beau cinéma maison? Pour défrayer le coût de son hypothèque et du même coup hypothéquer la vie de son enfant?

Suis-je trop sévère Émilie? Ai-je raison de clamer haut et fort ce manque de jugement? Et que faire de ces féministes qui ont dédié leur vie à des milliers de femmes des générations futures dont je suis afin que je m’affranchisse d’un foyer bancal? Où se trouve l’équilibre entre les deux? La fameuse conciliation travail-famille? Sans blague Émilie, je n’y crois pas!

Tout ce que je sais Émilie, c’est que dix ans après avoir eu les réflexions précédentes, je ne pourrai pas te donner ce que je souhaitais de mieux pour toi. J’ai compris que je ne pourrai arrêter de travailler quelques années, je ne suis pas une fille de maison et j’ai besoin de m’accomplir pour ne pas m’éteindre en un souffle. Mes beaux principes ont pris le bord, je sais que si je veux te mettre au monde, je dois faire le deuil d’être la mère parfaite que tu attendais (ou plutôt que j’attendais?).

Au final, entendons-nous, c’est toi qui décidera mon trésor. Tu auras le dernier mot sur des années de tergiversations. Je m’en remettrai à toi. Je fais confiance que je saurai d’emblée ce qu’il te faut dès la première seconde où tu naîtras. Je ne suis pas égoïste à ce point, juste un peu (trop) parfois.

Vois-tu mon bel ange, ta mère a des passions. Si les pensées précédentes m’ont animé pendant près d’une décennie, ces dernières années, c’est plutôt le temps que je n’aurai plus qui a retenu mon attention. Alors oui, je suis égocentrique. Le temps que je prendrai pour te bercer et te cajoler sera celui que je dédiais à l’écriture. Cernes-tu combien je suis centrée sur mes besoins? Je n’y peux rien Émilie, je ne peux devenir quelqu’un d’autre et je ne veux pas être une mère frustrée parce que forcément, les répercussions sur toi pourraient être catastrophiques. Donc, comment conjuguer les deux? La seule certitude que j’aie, c’est que oui, j’aurai moins de temps, mais en contrepartie, je t’aurai, toi, petit bout de lune au cœur souverain. Pourquoi douter?

Mon plan Émilie, il a toujours été clair depuis mes dix-sept ans. C’était d’avoir un enfant à l’approche de la quarantaine, pas avant, question d’avoir vécu un maximum d’expériences et de me consacrer pleinement à la maternité. Or, je touche à cet âge et je n’ai pas fait la moitié de ce que je voulais! Tous ces voyages, cet accomplissement en tant qu’artiste que je me targue de réaliser, je ne peux pas dire mission accomplie! Mais le chant du cygne se fait sentir, c’est maintenant ou jamais alors je n’ai de choix que de poursuivre ma voie en me disant que je saurai t’inculquer que la vie est bien meilleure au goût si elle est façonnée par nos passions. C’est ce qui me tarde de te faire découvrir mon ange, comment la vie est magnifique, même si ta mère est déjà imparfaite!  

C’est justement ça mon problème Émilie, c’est que j’observe toujours le mauvais côté des choses avant de regarder le bon. Quand le prêtre à l’église prononce son fameux « pour le meilleur et pour le pire », la plupart des gens conçoivent et consomment le meilleur en premier, pendant que moi, assise au bout de l’allée, je pleure toutes les larmes de mon corps en m’imaginant le pire! Donc, lorsque j’en oublie mes niaiseries d’auteure pour lesquelles je ne concrétiserai peut-être rien de bon, je comprends qu’il y a autre chose qui m’est destiné, quelque chose d’intangible pour le moment et qui demeurera indicible pour le restant de mes jours comme sentiment. Il me faut foncer, mon désir est irrationnel de toute façon.

Et ton père, qu’en est-il exactement? Il fera un super papa, aucun doute! Lui, c’est l’intimité qui retient son attention. Avoir quarante ans ma chérie implique que nous sommes deux vieilles croûtes avec des manies d’enfants gâtés! Lorsque je vois les parents qui se séparent pour avoir plus de temps pour eux grâce à la garde partagée, le poil de mon épiderme se dresse sur mes bras! Promets-moi Émilie que nous saurons résister?!

Je te préviens d’ailleurs, nous ne pourrons faire appel toutes les semaines à tes grands-parents pour nous donner un coup de main, ils sont vieillissants, restent loin et souhaitent consacrer le reste de leur vie à autre chose que d’élever d’autres enfants. Il faut relativiser. Ce n’est pas qu’ils ne t’aimeront pas Émilie, bien au contraire et tu seras à même de le ressentir, c’est juste qu’ils ont déjà donné en matière d’éducation et ont droit à un repos bien mérité! Cependant, entre toi et moi, veux-tu parier que lorsqu’ils apercevront ta frimousse, ils deviendront si gaga que nous serons forcés de leur assigner des heures de visites? Tout est possible, l’important, c’est de ne pas avoir d’attentes!

En passant, ma grand-mère (ton arrière grand-maman), m’avait bien prévenu sans gants blancs sur son lit de mort : « Tu vas trouver difficile d’avoir un enfant à ton âge ». Avec tous les scénarios que je suis capable d’imaginer, j’estime qu’elle a plus que raison!

Et toi, qu’en penses-tu Émilie? Qu’est-ce que tu souhaites dans tout ça? Ne crois-tu pas que si je ne te fais pas entrer dans le monde par la grande porte (!), ce sera plutôt le parfait triomphe de mon égoïsme? Avoir un enfant, finalement, est-ce un sacrifice ou du narcissisme? Pour tous ces gens qui ne pensent pas avant d'avoir d'enfants, moi je pense pour eux!

Je voulais avoir un enfant à quarante ans parce que je me disais qu’avec mon vécu, je serais mieux outillée pour être parent. C’est vrai. Toutefois, j’ai le sentiment d’avoir beaucoup vécu et pourtant, je ne sais rien. Face à toi, je suis une coccinelle égarée qui tente de voler tout en restant collée à l’amas de briques sous ses pattes. Je m’accroche à toutes sortes d’idées préconçues sans savoir comment ça se passera réellement. J’anticipe, je surévalue, j’use les limites de ma paranoïa... Pendant ce temps, la vie se déroule (faussement) paisiblement sans toi.

Si jamais tu venais au monde Émilie, tu me mettras au monde aussi. Au bout du chemin, c’est toi qui décidera dans quelle direction tu nous porteras. Il n’y a qu’une chose à laquelle je tiens (outre que d’écrire de la prose une fois par mois et faire l’amour à ton père toutes les semaines), c’est la façon dont j’aimerais t’élever.  

Je ne suis pas de celle qui croit au contrôle parental exacerbé. On vit dans une société qui passe de moins en moins de temps avec ces enfants et lorsqu’on est avec eux, c’est en dépit de l’amour et au profit d’un contrôle parental excessif. Oui, tu vas te péter la gueule Émilie. Oui, ça va t’arriver souvent. Oui, je serai là pour t’aider à te relever, enfant et une fois devenue adulte. Mais je ne le ferai pas à ta place. Et je ne ferai pas en sorte que cela n’arrive pas non plus. Je te donnerai des conseils si tu veux. Je t’encouragerai, je t’écouterai. Mais c’est ta vie et je ne la traverserai pas à ta place.

Comme tu peux le comprendre, j’ai bien assez de la mienne avec laquelle je tente de jongler! Ce que je souhaiterais de mieux pour toi, c’est que tu deviennes dans le futur un être humain autonome qui sait savourer pleinement la vie. Pas juste du bout des lèvres en croyant ne déguster rien d’autre que la fleur de l’ordinaire, non, je veux t’enseigner à voir l’invisible, parce que c’est ce qui me permet de voir l’incroyable. S’émerveiller, éprouver de la gratitude, il n’y a rien de plus précieux comme rempart aux aléas de la vie. À chaque journée qui te baise les pieds, c’est une de plus que la vie t’a accordée. Pour concevoir ça, il faut être tombé quelques fois et s’être mesuré à l’échec. C’est pourquoi je serai là pour soutenir ton vélo s’il n’est pas stable mais tes guides, c’est toi qui les tiendra ma chérie. La vie, c’est accepter de se faire confiance même quand on doute, comme moi dans le cas présent. Toi tu ne doutes pas de moi, n’est-ce pas? Et moi je ne doute aucunement de toi. Alors j’ai confiance (malgré tout ce que j’ai pu énoncer plus haut). OUI. Je me donne cette chance. J’ai confiance en toi, la vie et même (tiens tiens), en mes capacités de mère. J’ai si hâte de te rencontrer ma belle Émilie, si hâte de te serrer fort contre moi, de te faire virevolter, de te câliner, de t’embrasser, et de voir se dessiner ton sourire glouton purement extatique! J’en reviens au début, à toujours voir le pire avant le meilleur, j’en oublie l’essentiel : de vivre d’abord et de cueillir le futur une fois qu’il sera mûr.

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